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Des scientifiques mettent en garde contre un risque de crise sanitaire majeure après la découverte de nouvelles souches de typhoïde hautement résistantes aux antibiotiques

13 novembre 2018 - Lyon (France)

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Deux nouvelles variantes de Salmonella Typhi hautement résistantes aux médicaments ont été découvertes au Bangladesh. Ces bactéries sont responsables de la fièvre typhoïde, une maladie potentiellement mortelle qui est endémique dans certaines régions d’Asie et d’Afrique. Une nouvelle lignée de S. Typhi présentant une haute résistance aux fluoroquinolones a été décrite pour la première fois, de même qu’une nouvelle souche hautement résistante à la ceftriaxone, une céphalosporine de troisième génération qui est le traitement le plus fréquemment prescrit pour la fièvre typhoïde.

La publication de ces travaux dans mBio (Tanmoy et al.) fait suite à une étude menée par la Fondation Mérieux et la Child Health Research Foundation (CHRF) au Bangladesh, avec la participation d’Applied Maths en Belgique pour l’analyse des données.

Ces deux nouvelles variantes de Salmonella Typhi sont distinctes de la souche découverte lors de l’épidémie de fièvre typhoïde ultra-résistante aux médicaments (XDR) signalée au Pakistan plus tôt dans l’année. Les auteurs s’attendaient à ce que la souche sévissant au Pakistan se soit propagée dans la région et à d’autres pays endémiques. Or, les données présentées par Tanmoy et al. ont mis en évidence des mutations génétiques permettant de différencier cette souche de celles du Bangladesh, indiquant diverses origines géographiques. Une épidémie multi-foyers indépendants constitue une menace bien plus grave, car elle se répand beaucoup plus rapidement à l’échelle mondiale, ce qui la rend plus difficile à contenir qu’une épidémie avec une seule source d’émergence.

« L’émergence de ces souches hautement résistantes au Pakistan, et désormais au Bangladesh, pourrait annoncer le début d’une pandémie mondiale de souches XDR », a déclaré le professeur Hubert Endtz, directeur de la recherche appliquée à la Fondation Mérieux et professeur de bactériologie tropicale au sein de l’Erasmus University Medical Center. « Comme les options thérapeutiques disparaissent, il est urgent d’accélérer les programmes de vaccination des populations à haut risque », a-t-il ajouté.

La fièvre typhoïde est causée par Salmonella enterica sérotype Typhi, responsable d’environ 17 à 26 millions de cas chaque année dans le monde. En cas de traitement approprié par un antibiotique, le taux de mortalité associé à la typhoïde est inférieur à 1 %. Avant l’avènement des antibiotiques, il était de 15 %. Si la fièvre typhoïde devenait intraitable en raison d’un manque d’antibiotiques efficaces, un retour à ce taux pourrait entraîner jusqu’à 3,9 millions de décès par an.

Si la typhoïde est détectée et traitée rapidement, la transmission peut être arrêtée. En l’absence d’antibiotiques efficaces, il ne reste que deux options : améliorer l’assainissement de l’eau, un processus coûteux et lent à mettre en œuvre dans les pays endémiques, et mener des campagnes de vaccination chez les populations à haut risque. Les enfants de moins de cinq ans présentent le risque le plus élevé. L’OMS a récemment préqualifié le premier vaccin conjugué contre la typhoïde et recommandé son introduction dans les programmes de vaccination de routine. A la différence des vaccins précédents contre la typhoïde, le nouveau vaccin conjugué confère une immunité plus longue, requiert une seule dose et peut être administré aux enfants dès 6 mois.

L’étude a été menée au Laboratoire des Pathogènes Émergents de la Fondation Mérieux à Lyon, dédié à la recherche appliquée dans les domaines de la santé publique et des maladies infectieuses, et membre du Centre International de Recherche en Infectiologie (CIRI) – Inserm, CNRS, UCBLI et ENS de Lyon.

Ce projet illustre le soutien qu’apporte la fondation à la carrière des jeunes scientifiques, afin de renforcer les capacités de recherche dans les pays en développement.

L’auteur principal, Arif M. Tanmoy, de la Child Health Research Foundation au Bangladesh, a mené les travaux de recherche au sein du Laboratoire des Pathogènes Émergents. Il termine également son doctorat à l’Erasmus University Medical Center aux Pays-Bas.

À propos de l’étude

Les données issues du séquençage du génome entier de 536 souches de S. Typhi ont été analysées par les scientifiques et bio-informaticiens de la Fondation Mérieux, en collaboration avec les équipes d’Applied Maths en Belgique et l’unité d’analyse des données de bioMérieux en France. Les souches avaient été recueillies par la Child Health Research Foundation dans le département de microbiologie de l’Hôpital pédiatrique Shishu de Dacca (Bangladesh). Les séquences obtenues ont été comparées aux données collectées lors d’une récente épidémie de Salmonella Typhi XDR au Pakistan (Klemm et al. mBio 9:e00105-18, 2018) et d’une étude de surveillance de la fièvre typhoïde au Népal (Britto et al. PLoS Negl. Trop. Dis. 12(4): e0006408, 2018).

Les auteurs ont identifié une nouvelle lignée Salmonella Typhi au sein de l’Haplotype H58 présentant un haut niveau de résistance aux fluoroquinolones. L’étude a également mis en évidence une nouvelle souche productrice d’enzymes BLSE (bêta-lactamases à spectre étendu), qui engendrent une résistance à la ceftriaxone. Dans certains cas, les deux mécanismes de résistance coexistent au sein de l’haplotype H58, qui est le plus prévalent au monde, ce qui augmente le risque de dissémination de cette double résistance. Une souche avec trois mutations différentes conférant un haut niveau de résistance aux fluoroquinolones, semblable aux souches identifiées au Népal, a également été détectée.

Les souches hautement résistantes observées sont toujours susceptibles à l’azithromycine, le seul antibiotique oral restant dont l’efficacité contre Salmonella Typhi a été prouvée. Toutefois, des souches résistantes à l’azithromycine ont déjà été signalées en Asie du Sud (Patel et al. J Clin Diagn Res. 2017 Jun; 11(6): DM01–DM03) et la généralisation de son utilisation entrainerait le développement rapide d’une résistance. Après l’azithromycine, la seule option thérapeutique restante serait des médicaments par voie intraveineuse très coûteux, tels que des carbapénèmes, inaccessibles dans les pays en développement.

Financement de l’étude

L’étude a reçu des fonds du programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne Horizon 2020, en vertu de l’accord de subvention n° 643476, dans le cadre du projet COMPARE, qui vise à accélérer la détection et la prise de décision face aux épidémies chez l’homme et l’animal à travers le monde grâce à l’utilisation des nouvelles technologies de séquençage du génome.

La Fondation Mérieux et l’Institut français de recherche pour le développement (IRD) ont accordé à Arif M. Tanmoy une bourse doctorale (Allocation de recherche pour une thèse au Sud – ARTS).

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